Le chercheur du mois
Professeur Amadou SAIBOU ADAMOU

CURRICULUM VITAE
« Le chercheur du mois » est une tribune du Réseau africain d’analyse du discours (R2AD), qui fait la promotion des acteurs, des enseignants et enseignants-chercheurs du domaine de l’analyse du discours en Afrique. Cette tribune se veut le creuset de la valorisation de la recherche, des productions et des parcours exceptionnels. Pour cette première tribune, d’action promotionnelle des compétences du R2AD, le Professeur Amadou SAIBOU ADAMOU est notre « chercheur du mois ».
Entretien.
Bonjour Professeur, présentez-vous s’il vous plaît. Faites-nous votre biographie en quelques lignes.
Bonjour et merci à vous de me donner la parole dans cette belle tribune du R2AD. Je m’appelle Amadou SAIBOU ADAMOU. Je suis né à Niamey (Niger) ; je suis de nationalité nigérienne. Je viens d’être promu Professeur Titulaire à la dernière session du CAMES. Je suis enseignant-chercheur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de l’Université Abdou Abdou Moumouni de Niamey où j’enseigne les sciences du langage et la didactique des langues-cultures. J’interviens comme enseignant dans plusieurs universités du Niger et je suis professeur associé de l’université Ousmane Dan-Fodio de Sokoto au Nigéria. J’ai un doctorat en sciences du langage. Je suis membre de plusieurs associations et réseaux dont le R2AD, l’équipe des experts ELAN (Ecole et Langues Nationales en Afrique) de OIF, et le Réseau des experts de France Éducation international. Je suis co-fondateur et rédacteur en chef de la revue scientifique Encres de l’Université Abdou Moumouni, coordinateur du Laboratoire des Langues-Cultures, d’Analyse du Discours et des Pratiques Enseignantes (LACDIPE) ; je viens d’être élu Directeur de l’Ecole Doctorale Art, Lettres, Sciences de l’Homme et la Société (EDALSHS) de l’Université Abdou Moumouni de Niamey…
Dans le cadre de sa tribune d’actions promotionnelles des valeurs et compétences du R2AD, vous avez été désigné « chercheur du mois ». Quel est votre sentiment ?
C’est évidemment un très grand honneur pour moi et c’est un honneur pour mon université et mon pays. Mais tout le mérite revient aux initiateurs du R2AD qui ont pensé à la création de ce réseau et à la diffusion des réflexions de ses membres et de celles d’autres chercheurs à travers le monde. J’ai le sentiment vrai que quelque chose – d’informe pour le moment – d’excitant et d’incitant est en train de naître en Afrique ; quelque chose qui part de nous, qui nous exprime (chaque oiseau chante la beauté de son nid, dit un proverbe de chez nous) mais qui ne nous emprisonne pas, au contraire qui nous ouvre aux autres. La création du R2AD en est la preuve palpable.
Comment êtes-vous arrivé à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique ?
Ah ! Je dirai à pied et sans hâte. J’ai eu une formation d’instituteur dans une Ecole Normale d’Instituteur. Et c’est après plus d’une décennie (13 ans exactement) de magistère que j’ai passé un test pour aller me former en Lettres Modernes à l’Université de Niamey. Après la maîtrise, je suis retourné dans le métier d’enseignant, cette fois-ci au niveau du collège, puis du Lycée. Après mon DEA, j’ai exercé la fonction de conseiller pédagogique de français au secondaire durant 5 ans avant de retourner soutenir ma thèse de doctorat en sciences du langage à l’Université de Ouagadougou au Burkina Faso. J’ai donc un destin d’enseignant et de chercheur. J’ai pris plus que goût à la profession d’enseignant ; c’est le métier de ma vie. J’ai toujours été fasciné par la lecture de tous les genres (et par l’écriture aussi, de sort que je me suis amusé à commettre des textes littéraires, en l’occurrence des nouvelles primées et publiées au Niger et en France) dans l’optique de trouver réponses aux nombreuses questions qui me taquinent sur moi-même, sur ce qui m’entoure, sur la vie, sur la mort… J’ai voulu être historien. Pas parce que le passé me fascine, mais pour mieux comprendre les racines du présent et me représenter l’avenir avec cohérence. Mais, c’est la littérature qui m’a accueilli. Je me suis particulièrement intéressé aux productions orales des poètes et griots du Niger et, plus tard, j’ai découvert les sciences du langage et leurs abondants et passionnants outils d’analyse des textes et des discours. Les possibilités qu’elles offrent, les limites et les incertitudes qu’elles indiquent aussi.
Vous êtes Professeur titulaire, quel regard portez-vous sur la recherche en Afrique de façon générale et plus spécifiquement dans le domaine de l’Analyse du Discours ?
En Afrique, la recherche scientifique se développe dans tous les domaines. Ce que rassemble le CAMES comme production scientifique est un échantillon éloquent des efforts faits par les chercheurs dans ce continent. Il reste que cette recherche est très peu soutenue, mal orientée et mal gérée, de sorte que, en grande partie, elle ressemble à une écriture sur l’eau ; elle ne laisse pas de trace, elle ne sert presque pas ou prou.
Pour ce qui est du domaine de l’Analyse du Discours (AD), notons que telle qu’elle se définit aujourd’hui, c’est une discipline relativement récente. Et, comme pour la recherche en général, cette discipline s’exerce en Afrique dans des champs très variés et le plus souvent dans l’approximative. En réalité, elle cherche encore ses vrais repères (linguistiques et sociologiques). Mais, déjà, elle est prise dans les contradictions internes (l’AD en Afrique doit-elle être critique ou pragmatique, neutre ou engagée, spéculative ou utilitaire … ?) et externes (inintelligibilité, déformations, instrumentalisations, …) qui caractérisent toutes sciences, sur ses objets, ses principes, ses outils d’analyse, ses méthodes, ses objectifs et finalités.
Un travail d’inventaire peut, doit être engagé pour estimer et mesurer ce qui est déjà fait en la matière, et permettre d’avancer de façon conséquente dans le domaine. C’est, je crois, une des justifications de la création du R2AD.
L’Analyse du Discours au Niger, quelles pratiques, quelles réalités ?
Ce qui se fait au Niger est, à quelques nuances près, à l’image de ce qui se fait un peu partout en Afrique. On fait de l’AD souvent sans savoir qu’on en fait ; ou alors on croit faire de l’AD sans s’assurer de la connaissance des principes, outils et méthodes de cette discipline. Bien sûr que l’AD est utilisée dans d’autres disciplines comme la sociologie, l’anthropologie ou l’histoire, mais là, on s’en sert comme on se sert d’un ustensile, elle contribue à l’analyse et à l’intelligibilité des objets de chacune de ces disciplines qui la sollicitent. Mais, chose intéressante, depuis la mise en place du système LMD à l’Université Abdou Moumouni, des dispositifs (laboratoires, programmes d’enseignement, recherche en master et en thèse de doctorat) se mettent en place pour un enseignement et une pratique de l’AD. Ces dispositifs ont permis d’enseigner et de mener des travaux de recherche dans au moins quatre champs couverts par l’AD : le discours politique, celui des médias, de la littérature (surtout orale) et celui du discours scolaire. Ce sont là de tout petits pas, mais c’est du gagné.
Dans l’entendement général l’Analyse du Discours fait plus penser au discours politique, qui est un discours particulièrement animé, source de confrontations et de « conflits » en tous genres sous nos tropiques.
Pour le spécialiste que vous êtes, quelle identité pourrait-on donner au discours politique africain aujourd’hui ?
Je ne sais pas si (à l’heure actuelle) l’on doit parler du discours ou des discours politiques africains. Il y a ceux produits par les hommes politiques et ceux produits sur la politique c’est-à-dire sur la gestion de la société. Il y a les discours anciennement produits (je pense par exemple à la Charte de Kurukan Fuga conçu au 13ème siècle à la naissance de l’empire du Mali) et les discours contemporains (ceux des indépendances, ceux des années des partis uniques et ceux du temps de la démocratie), ceux produits en langues nationales et ceux dits en langues de l’ancien colonisateur, les discours produits dans les institutions politico-économiques et ceux diffusés par les réseaux sociaux, etc. Vous voyez, il est difficile de parler d’identité du discours politique africain. Mais, pour dire deux mots du discours africain d’aujourd’hui (émanant des seuls hommes politiques), du moins de ce que j’ai pu observer, quelques traits contrastés marquants peuvent être énoncés : sa nature la fois extra et introvertie, son ambiguïté idéologique (l’arôme démocratique qu’on lui donne cache mal les volontés dictatoriales et parfois féodales voire ethnicistes de ceux des hommes politiques qui le tiennent), son hétérogénéité, sa grande tendance à la manipulation c’est-à-dire, comme le note ailleurs Patrick Charaudeau, non pas seulement comme stratégie de persuasion mais comme dire qui « s’accompagne … d’une tromperie du fait d’un rapport entre un manipulateur qui cache son intention et un manipulé qui ignore celle-ci ». Mais il faut reconnaître que certains discours politiques africains adoptent des points de vue et des stratégies qui sont en quête du soi africain et qui veulent sortir des sentiers battus : ce sont ces discours produits par des artistes, quelques rares hommes politiques, une partie de la société civile, une partie de la jeunesse.
Revenons sur votre parcours, quel est votre regard à ce jour, sur tout ce chemin parcouru ?
J’ai fait un parcours assez atypique qui exige une grande volonté, parfois une réelle obstination. Evidemment, dans ce parcours, j’ai appris beaucoup de choses mais… surtout, je découvre l’immensité de ce que j’ignore. Mon parcours d’enseignant et de chercheur m’a aussi conduit à faire le constat suivant : aujourd’hui, le temps pour apprendre s’amenuise. Le temps que mettaient (j’utilise le passé déjà) les étudiants (et les chercheurs) pour découvrir, comprendre, interpréter, exposer…se raccourcit de plus en plus. Est-ce parce que les nouveaux outils d’apprentissage le permettent ou est-ce parce que les nouvelles générations n’ont plus le temps d’apprendre, soumis qu’ils sont à la dictature de l’urgence et à celle du profit ? Les copies d’étudiants, les mémoires et thèses qu’ils produisent montrent de grosses insuffisances qui montrent qu’ils ne prennent plus le temps d’apprendre, à moins que cela ne signale que nos outils actuels d’évaluation de ceux de publication de nos recherches sont obsolètes.
A votre avis, quel est la place et le rôle du chercheur africain aujourd’hui dans le monde ?
C’est la place et le rôle d’une personne ressource, voire d’un missionnaire. Il est, comme tout chercheur, quelqu’un qui doit s’assurer de posséder des clés essentielles de sa discipline, pour ensuite aller découvrir, expliquer, interpréter, penser les objets qu’il étudie avec le plus de précisions possible et en toute humilité, et qui doit transmettre le fruit de ses réflexions à ceux qui en ont besoin, mais aussi à ceux qui les prolongeront ou les nieront. Pour ceux des chercheurs africains qui travaillent sur l’AD, mon avis est qu’en plus des outils de base de la discipline qu’ils doivent possédés, il est de leur devoir de repenser les discours africains en les arrimant davantage à leurs contextes socio-culturels. Pour moi, l’analyse des discours africains doit composer avec l’anthropologie ou ne sera pas. J’ose même en émettre quelques raisons, à partir de quelques grands traits du monde « traditionnel » africain que je connais :
l’Africain en général est encore resté très croyant, son monde est fait du vital et du spirituel, du physique et du métaphysique ; les discours qu’il produits en sont plus ou moins redevables ;
la société africaine garde encore, en grande partie, son organisation traditionnelle axiologisée, qui distingue les hommes par des critères précis ; cette mesure du monde influence forcément la fabrique, la transmission et la réception des discours ;
la société africaine d’inspiration traditionnelle est une société du secret et du silence ; les analystes du discours en Afrique se sont-ils donné les moyens de lire ce silence et cet ésotérique ?
le discours de l’Afrique profonde, même celui du quotidien, est un carrefour de discours et une vaste métaphore ; la parole africaine est comme l’oignon, pour en trouver le noyau (le sens), il faut traverser ses cent peaux ;
etc.
Il s’agit donc d’un grand champ qui demande aux analystes des discours africains beaucoup de labeur et surtout l’élaboration d’un outillage approprié. Ce sont là deux impératifs. On ne peut se contenter des seuls instruments d’analyse venant d’Occident et qui, de mon point de vue, ne doivent intervenir que comme des intrants dans ce champ encore en friche. « Un pantalon cousu à la mesure d’un Homme ne convient pas forcément à un autre » ; « celui qui fait de la nuit son seul vêtement marchera nu dès qu’il fait jour », nous enseignent ces deux proverbes africains.
Que nous diriez-vous, si vous deviez résumer les résultats de vos travaux et leur utilité, leur impact sur la société africaine ?
Les travaux que j’ai menés jusque-là en AD portent sur les discours littéraires oraux des Songhay-Zarma du Niger, sur le discours politique et sur les discours de la classe. Je m’en sers pour le moment dans les cours que je dispense à l’Université et dans les séminaires destinés aux étudiants de Master et de thèse. Je sais que mes articles et certains ouvrages sont publiés à l’échelle internationale, mais je n’ai aucune prétention sur leur impact sur la société africaine. Vous savez, mon souhait est que mes travaux de recherche et moi ne soyons, comme dirait l’autre, qu’une étincelle, si elle illumine une partie de l’univers un petit instant, il ne me reviendra qu’à rendre grâce à Dieu. Toujours.
Quelles sont vos lectures du moment ? Avez-vous un coup de cœur à partager avec nous ?
Je lis beaucoup : des ouvrages consacrés évidemment à l’AD, mais aussi à la religion, au développement personnel, etc. Je redécouvre un ouvrage de plus de 1000 proverbes songhay-zarma que j’ai publié en 2016. Mais mon « coup de cœur » est ce petit ouvrage (Taj al-Din…) écrit au 15ème siècle par un intellectuel africain du nom de Muhammad al-Maghili qui fut conseiller de l’empereur Askia Mohammed et de Muhammad Rumfa, roi de Kano à la requête duquel il rédigea le Taj al-Din. L’ouvrage est traduit (de l’arabe) en anglais par T. H. Baldwin sous le titre The Obligations of princes. Ce traité politique d’inspiration islamique de 8 chapitres, contemporain du Prince de Machiavel, parle de la gouvernance ; il aborde la problématique du pouvoir d’un point de vue théorique, pratique, éthique, subjectif et objectif. Une analyse de son discours, croisée à celle du Prince, obligerait à voir que la gouvernance n’est pas que ruses du pouvoir. Tenez voici par exemple un extrait du Taj relatif à la gestion des biens publics : « L’essence de la générosité est, pour le Prince, d’ôter ses mains des biens du peuple. La retenue (la modération) fait perdurer le royaume dans la beauté, la cupidité le fait vaciller et tomber en ruine… »
J’avoue que pour comprendre le discours du Taj, j’ai recouru à un ouvrage magistral (un autre coup de cœur) intitulé Quatorze siècles d’histoire du Soudan central. Le Niger du VIIème au XXème siècle écrit par l’éminent historien nigérien, le professeur Djibo Hamani. Il nous explique entre autres les rôles joués par les intellectuels auprès des rois et empereurs africains. Comme quoi, l’AD mène à tout ; ce n’est pas une discipline, c’est un archipel de disciplines.
Merci Professeur