Pour la rentrée 2022-2023, notre rubrique rend hommage à M. Nouhou GANO, Docteur de l’Université Cheick Anta Diop, membre du R2AD, LAUREAT de l’édition 2022 du PRIX DE LA MEILLEURE THESE DE L’ACADEMIE NATIONALE DES SCIENCES ET TECHNIQUES DU SENEGAL.
 
Entretien
 

R2AD’Com : Bonjour Dr, le R2AD est très honoré de vous recevoir à cette tribune « le chercheur du mois » quelques semaines après votre sacre par le monde de la recherche scientifique au Sénégal.

Félicitations 
Vos sentiments et impressions…Que représente pour vous ce prix ?
 
Nouhou GANO : Bonjour,

Merci pour vos félicitations.

Permettez-moi, d’abord, de remercier le R2AD de m’honorer en me désignant «le chercheur du mois ». Et aussi la cellule de communication qui m’accorde cet entretien. Je salue les efforts et la régularité dans sa mission de valorisation et de promotion de la recherche.
Être lauréat de l’édition 2022 du prix aux meilleures thèses des écoles doctorales du système universitaire national (plus précisément prix de la meilleure thèse des recherches en sciences humaines et sociales de l’Ecole Doctorale Arts Cultures et Civilisations de l’UCAD) est un honneur et une fierté que je partage avec ma famille, mon encadreur et tous mes amis. Cette récompense vient décorer trois années d’intenses réflexions, de privation et de passion pour la recherche. Je dois juste vous dire que mes impressions sont très positives et j’estime que ce prix, fort stimulant, est annonciateur d’un début de carrière friand.
 
R2AD’Com : présentez-vous à nos membres et sympathisants s’il vous plaît. Votre biographie en quelques lignes ?
 
Nouhou GANO : Je suis Nouhou GANO, professeur de lettres modernes, docteur en sciences du langage (Analyse du discours). Je dispense, également, des cours de grammaire moderne au département de lettres modernes à l’université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ). Les connecteurs constituent, par excellence, mon objet de réflexion. Nous les étudions à travers différents types de discours mais de façon pointue dans le discours politique sénégalais. Au-delà, nous réfléchissons sur diverses problématiques discursives et sur les outils opératoires de l’analyse du discours.
 
R2AD’Com : Ce travail de recherche qui a séduit le jury et qui vous a valu cette distinction. Que pouvez-vous nous en dire ? Comment avez-vous choisi votre sujet de thèse ? Comment avez-vous mené vos recherches ?
 
Nouhou GANO : Je rends grâce à Dieu qui m’a permis de surmonter toutes les étapes pénibles de la recherche. Ce travail est une étude scientifique du discours politique sénégalais par le truchement de certains connecteurs qui, lorsqu’ils sont mis au profit de la persuasion, autorisent des positionnements. À l’instar d’Oswald Ducrot et de Jacques Moeshler qui respectivement ont parlé de connecteurs argumentatifs et connecteurs pragmatiques, nous avons pu mettre en évidence le rôle discursif des connecteurs positionnants, repenser la notion de positionnement en rapport avec l’argumentation et dégager des constances dont l’acharnement, le dénigrement, la victimisation, les dérives, la violence et l’incohérence discursive dans le discours politique sénégalais.
Mon sujet a été choisi après deux constats faits. D’abord, sur le taux très faible des études menées sur le discours politiques sénégalais dans le cadre des Sciences du Langage. Puis l’absence de contributions théoriques sur les connecteurs par les chercheurs africains. Lorsque je me suis entretenu avec mon encadreur sur la question, il m’a fait une série de recommandations ; et moi, je n’oubliais pas de lui rappeler la discussion très ouverte que nous avions eue sur « le positionnement discursif » lors d’un de ses cours de master. C’est à la suite de cet entretien, que je suis allé rédiger mon projet de thèse d’une dizaine de pages où j’ai exprimé clairement mon intention d’étudier le discours politique en m’appuyant foncièrement sur les connecteurs. Ce sujet, choisi par moi-même, a évolué au cours des deux premières années de thèse avant d’être stabilisé comme suit : DES DISCOURS DE L’ESPACE POLITIQUE AU SÉNÉGAL (1981-2019). ARTICULATION ET INSTRUCTION DISCURSIVE DES CONNECTEURS À VALEUR DE POSITIONNEMENT
Pour venir à bout de cette de recherche, je me devais une certaine organisation. Très vite, je me suis arrangé pour que mes engagements professionnels ne m’empêchent d’assister aux séminaires doctoraux et d’être à jour relativement à mes séances de lecture et de rédaction. Je suivais à la lettre l’agenda de travail que je m’étais fixé, d’un commun accord avec mon encadreur.
Pour vous dire vrai, je m’étais accroché, au quotidien, à mon sujet de réflexion. J’avais pris l’habitude d’attendre le soir à partir de 18H pour la rédaction. Le reste de mes heures de travail, je me consacrais à la lecture. Avec mon encadreur, nous faisions des évaluations à mi-parcours. Cela me permettait de noter les observations et de les intégrer avant de poursuivre le travail.
 
R2AD’Com : Décrivez-nous votre parcours avec votre encadreur ? A votre avis, quels sont les facteurs de cette collaboration fructueuse ?
 
Nouhou GANO : Ma collaboration avec le professeur Fallou MBOW commence en 2011. Nous venions de faire connaissance alors que j’étais étudiant en master I, Option Approche du Discours où il dispensait le cours d’Analyse du Discours intégrant l’Analyse Conversationnelle. Sur ma demande, il avait accepté de superviser mon mémoire de recherche. Avec le temps, j’ai eu la force morale de m’adapter à son rythme de travail. Et en bon pédagogue, il a su me forger dans le champ de la recherche pendant deux ans (2011-2013) pour le compte du mémoire que j’ai pu présenter en soutenance avec la mention très bien.
Après avoir soutenu mon mémoire, je lui avais fait part de ma volonté de continuer les recherches avec lui. Mais comme j’étais admis à la FASTEF (Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et la Formation, Ex. ENS), il m’a demandé de me concentrer sur ma formation qui devait durer deux années pour le Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Secondaire (CAES). J’ai suivi ce conseil. En 2017, après deux années d’expérience sur le terrain, j’ai entamé mes recherches doctorales sous sa direction.
J’avoue que c’était une chance pour moi d’avoir comme encadreur, le professeur Fallou Mbow dont les recherches, lui-même, ont été supervisées par d’imminents professeurs avec en tête Dominique Maingueneau, l’illustre théoricien de l’école française de l’analyse du discours. Il a hérité de ses maîtres, en plus de ses dons personnels, les astuces de l’encadrement.
Ma collaboration avec lui était animée par des partages et des échanges par mail d’une part, et d’autres parts, par des rencontres périodiques pour évaluation de mon travail. Ce qui m’a permis véritablement de progresser dans mes recherches, ce sont ses réactions opportunes, sa disponibilité sans commune mesure. Retenons qu’il a réussi à créer les circonstances me rendant maître de mon travail. C’est ce mode d’encadrement rapproché, facteur déterminant dans notre collaboration, qui est aujourd’hui récompensé à travers ce prix.
 
R2AD’Com : Quelles ont été vos difficultés ? Quels conseils donneriez-vous à des doctorants pour les dépasser ?
 
Nouhou GANO : Dans une entreprise de recherche de cette nature, les difficultés comme vous le devinez bien, existent à bien des égards. Maintenant, il revient au chercheur de les surmonter. Moi, je devais dérouler mes dix-huit heures de cours par semaine au lycée, assurer la coordination de la cellule pédagogique et venir à Dakar après plus de dix heures sur le chemin pour prendre part aux séminaires de l’Ecole Doctorale. Malheureusement, les autorités académiques en charge de l’éducation ne prennent pas des mesures d’allègement pour les doctorants en service dans l’enseignement. À ce blocus, s’ajoute l’accès difficile à la documentation. Nos bibliothèques ne sont pas souvent pourvues d’ouvrages théoriques en analyse du discours. Et même récemment, je me suis rendu à la librairie Aux Quatre Vents, l’une des plus grandes bibliothèques de Dakar sans y trouver d’ouvrages méthodologiques dans ce domaine. Sans compter les commandes qui perdurent. Je devais patienter parfois longtemps pour voir les documents arrivés ici au Sénégal. En dernière instance, je suivais de très près les voyages à l’étranger de mon encadreur pour qu’il me rende ce service.
Parallèlement, je visitais beaucoup de sites d’internet mais certains étaient cryptés. L’accès aux documents de ces sites est réductible aux institutions qui y sont abonnées.
Par ailleurs, je vais répéter la chanson sur le problème de la recherche en Afrique : l’absence de financement. Vous savez, pour mon cas, j’ai pris en charge le coût financier de la recherche (inscriptions, achats de documents, participations à des journées scientifiques…) sans l’appui d’aucune institution. Il en est de même pour mes recherches et activités postdoctorales, surtout quand il m’a fallu participer à des rencontres internationales.
Pour les doctorants, je voudrais bien que vous compreniez que dans le cadre de la recherche, il n’y a point de défis insurmontables. Et lorsque vous commencerez à douter de vos capacités, à perdre le fil de votre réflexion et à vouloir abdiquer, sachez que vous êtes sur la bonne voie de la recherche, c’est-à-dire son tournant. Si j’ai un conseil à donner, je dirais, restez sereins et persistez à croire en l’atteinte de vos objectifs. Soyez organisés dans votre travail, fréquentez la bibliothèque le plus souvent pour rafraîchir la mémoire, ne manquez pas de patience et de passion, ayez une vraie culture de la recherche par la collaboration et lisez bien et toujours.
 
R2AD’Com : Votre dernier mot
 
Nouhou GANO : Chapeau à nos ainés, précurseurs de l’ADA (L’Analyse du Discours à l’Africaine) et qui ont eu l’intelligence de créer le R2AD pour la promotion de la recherche en Afrique. Une attention particulière à nos lecteurs et à tous les membres du Réseau que nous invitons à venir participer au premier congrès du R2AD en juin 2023 au Sénégal.
 
Merci Docteur
 
CELCOM R2AD