Dr Nanourougo Coulibaly
« Le chercheur du mois » est une tribune du Réseau africain d’analyse du discours (R2AD), qui fait la promotion des acteurs, des enseignants et enseignants-chercheurs du domaine de l’analyse du discours en Afrique. Cette tribune se veut le creuset de la valorisation de la recherche, des productions et des parcours exceptionnels. Pour cette tribune, d’action promotionnelle des compétences du R2AD, le Professeur Nanourougo Coulibaly est notre « chercheur du mois ».
Entretien.
Bonjour Professeur, présentez-vous s’il vous plaît. Votre biographie en quelques lignes ?
Je suis titulaire d’un Doctorat unique ès Lettres de l’Université de Cocody-Abidjan, Maître de conférences au Département de Lettres Modernes, UFR Langues, Littératures et Civilisations de l’Université Felix Houphouët-Boigny. Boursier de l’agence Universitaire de la Francophonie en 2013, j’ai fait une formation postdoctorale en rhétorique argumentative (Roumanie).
Je m’intéresse principalement aux questions de persuasion et d’argumentation dans les discours de l’espace public ouest africain notamment dans le discours électoral. J’ai publié à ce jour deux livres. Le premier « La lexie dans l’analyse du discours poétique » porte sur le fonctionnement du mot dans le discours poétique. Le deuxième « Titrologie. La guerre des tranchées médiatiques en Côte d’Ivoire » porte sur le discours médiatique notamment les titres de couverture des journaux de la presse écrite ivoirienne.
Dans le cadre de sa tribune d’actions promotionnelles des valeurs et compétences du R2AD, vous avez été désigné « chercheur du mois », quel est votre sentiment ?
Une joie et un sentiment de fierté mais en même temps une lourde responsabilité car une reconnaissance par les pairs exige plus de détermination et de travail pour maintenir le cap.
Comment êtes-vous arrivé à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique ?
Je suis arrivé à ce métier parce qu’il y a eu des maîtres qui sont des modèles. Ces modèles nous ont formé et motivé. Il faut leur rendre hommage.
Vous êtes Enseignant-chercheur, quel regard portez-vous sur la recherche en Afrique de façon général et plus spécifiquement dans le domaine de l’Analyse du Discours ?
La recherche en Afrique souffre de l’insuffisance des ressources car nous évoluons dans un contexte où tout relève de l’urgence. Si cette situation frappe tout le secteur de la recherche scientifique, les sciences humaines et sociales me semblent encore plus discriminées. Nous sommes donc appelés à travailler pratiquement sans moyens. Je voudrais saluer les efforts fournis par nos chercheurs. Ils cherchent et publient sans véritable appui. Il faudrait qu’on trouve un cadre de valorisation de l’édition universitaire et scientifique. A ce niveau il faut saluer l’organisation à venir du salon de l’édition universitaire porté par l’Observatoire national de la Vie et du Discours politique (ONVDP).
L’analyse du discours malgré les difficultés s’est frayé un chemin. La mise en place du Réseau Africain d’Analyse du discours R2AD présidé par Prof. Danielle LEZOU KOFFI apportera plus de visibilité à ce champ de la connaissance qui permettra de mieux adresser les questions africaines à partir des discours produits. Le meilleur est à venir pour l’analyse du discours.
L’Analyse du Discours en Côte d’Ivoire ?
Quelles pratiques, quelles réalités ?
L’analyse du discours en Côte d’Ivoire se pratique de longue date. Ce qu’il faut signaler, c’est qu’elle a, pendant longtemps, porté sur le discours littéraire. Ce qui est intéressant à présent, c’est son intérêt croissant pour des corpus de tout genre. Le discours médiatique, le discours politique et son pendant qui est le discours électoral, le discours des réseaux sociaux, les discours institutionnels etc. Toutes les pratiques discursives sont objet d’étude et des travaux pertinents sont en cours. Certaines modalités comme la polémique, la controverse sont également analysées. Ces travaux se font en convoquant des repères théoriques rhétoriques ou relevant de la linguistique du discours.
L’analyse de contenu est aussi pratiquée. En un mot, l’analyse du discours en Côte d’Ivoire se porte bien. Elle a son mot à dire sur la vie publique ivoirienne et elle le dira. Elle a pris du volume avec la mise en place du R2AD.
Dans l’entendement général l’Analyse du Discours fait plus penser au discours politique, qui est un discours particulièrement animé, source de confrontations et de « conflits » en tous genres sous nos tropiques.
Pour le spécialiste que vous êtes, quelle identité pourrait-on donner au discours politique africain aujourd’hui ?
La conflictualité du discours politique est normale. Le discours est le lieu de confrontation des offres politiques en compétition dans l’espace public. Chaque tendance entend faire de son approche une opinion dominante en la promouvant ou en discréditant les propositions adverses. C’est la source de la polémique et de la controverse mais aussi de la violence verbale.
Pour parler du discours politique africain, je dirai que c’est toute thèse ou une série de thèses qu’il faudra. Il y a le discours politique africain au sud du Sahara et le discours politique au nord du Sahara. Il y a également des spécificités liées aux pays en fonction des liens coloniaux. Les pays ayant été colonisés par la France ont des spécifiés que les anciennes colonies anglaises n’ont certainement pas. De manière très générale, je dirai que c’est un discours dominé par l’image d’un auditoire en quête de souveraineté, d’indépendance véritable (qu’elle soit économique, politique ou culturelle).
A ce propos d’ailleurs, vous nous donnez l’occasion de parler de votre livre qui est paru au mois d’octobre et qui s’intitule, Titrologie, la guerre des tranchées médiatiques en Côte d’Ivoire, cet ouvrage pourquoi et pour dire quoi ?
Cette monographie sur le discours médiatique décrit comment le discours politique investi le champ médiatique et pour en faire un lieu de confrontation et non plus un lieu d’information citoyenne. Ce travail descriptif au-delà de donner de la matière à l’industrie du livre, se veut une invitation aux hommes de médias. Ces derniers doivent, par leurs écrits, faciliter la circulation d’un imaginaire de paix et de cohésion indispensable à la construction de la société dynamique et prospère dont nous rêvons tous.
A votre avis, quel est la place et le rôle du chercheur africain aujourd’hui dans le monde ?
C’est une place à conquérir par la qualité de nos contributions mais aussi par la volonté politique et les ressources qui vont avec. A ce jour, le chercheur africain est marginalisé.
Que nous diriez-vous, si vous deviez résumer les résultats de vos travaux et leur utilité, leur impact sur la société africaine ?
Pour le moment, je me contente de faire ce pourquoi je suis payé : manipuler des concepts et des notions, écrire des livres et des articles, dispenser mes enseignements aux plus jeunes à travers le continent, encadrer des travaux de recherche de mastérants et doctorants, faire des conférences pour véhiculer des idées et des valeurs, me prononcer sur la vie et le débat public etc. Je le fais avec grand plaisir. J’aime mon métier. Je suis heureux de me savoir cité de par le monde sur les questions que j’adresse. Après, je laisse le soin à la société d’évaluer l’impact.
Quelles sont vos lectures du moment ? Avez-vous un coup de cœur à partager avec nous ?
Je lis en ce moment avec grand plaisir « Les lois de la nature humaine » de Robert Greene. Un livre formidable qui s’inscrit dans le cadre de la littérature de développement personnel.
Je vous invite à le lire.
Merci Professeur