Pr Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA
« Le chercheur du mois » est une tribune du Réseau africain d’analyse du discours (R2AD), qui fait la promotion des acteurs, des enseignants et enseignants-chercheurs du domaine de l’analyse du discours en Afrique. Cette tribune se veut le creuset de la valorisation de la recherche, des productions et des parcours exceptionnels.
Pour cette tribune, d’action promotionnelle des compétences du R2AD, le Professeur Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA est notre « chercheur du mois ».
Entretien.
1. Bonjour Professeur, présentez-vous s’il vous plaît. Votre biographie en quelques lignes ?
Après une licence de français en 2005 à l’Université de Mostaganem, j’ai intégré l’université d’Oran pour débuter un parcours universitaire riche en connaissances pratiques et théoriques ; une faculté des langues étrangères qui m’a ouvert toutes ses portes pour la réussite et des enseignants-chevronnés qui m’ont accueilli à bras ouverts. Je n’oublierai jamais la gentillesse de Mme. Sari, la rigueur de feu Professeur Miliani Hadj, le sourire de feu Mme. Ouhibi, qui m’ont préparé au mieux à entrer dans la vie active, et à apprécier la littérature d’expression francophone.
Après neuf ans passés au département des sciences de l’information et de la communication de l’Université de Mostaganem à dispenser des cours en analyse de discours médiatique, j’ai réintégré l’université d’Oran2, en 2015, pour mener des actions de recherche, d’enseignements et occuper différents postes scientifiques et académiques. Mes travaux de recherche et d’enseignement portent principalement sur l’analyse du discours, et tout particulièrement, l’analyse des textes assistée par ordinateur, appelée communément la lexicométrie, ou encore la logométrie, qui tend à se forger un chemin dans le domaine des sciences du langage comme une pratique qui n’a encore livré tous ses secrets.
Après avoir mené à succès trois projets de recherche, mon projet actuel cherche à investir dans une thématique en relation avec le domaine de l’analyse du discours. Je m’intéresse, cette fois-ci, au décryptage des discours événementiels à la croisée des nouvelles technologies, en tenant d’engager une nouvelle lecture des discours médiatique et politique algérien et francophone, en m’appuyant sur les différentes écoles et théories linguistiques et sociales, notamment la lexicométrie ou l’analyse assistée par ordinateur. Il s’agit d’étudier les différentes manifestations qui s’en dégagent, les stratégies discursives, communicatives et rhétoriques qui composent cette typologie de discours, tout en restant ouvert sur toute lecture scientifique qui puise dans d’autres disciplines, afin d’inscrire le projet dans la pluridisciplinarité.
2. Dans le cadre de sa tribune d’actions promotionnelles des valeurs et compétences du R2AD, vous avez été désigné « chercheur du mois », quel est votre sentiment ?
Très content. C’est un honneur pour mon pays et pour mon université. Je profite de cette tribune qui m’est donnée pour remercier Mme. AIMEE DANIELLE EUGENIE SIMONE LEZOU KOFFI. Une initiative louable. Je la remercie également pour tous les efforts consentis, tout le mérite lui revient, au même titre qu’aux membres du R2AD qui méritent d’être encouragés.
J’ai intégré ce réseau de chercheurs sans la moindre hésitation. Les actions menées et les réflexions engagées permettent de rendre compte de l’importance de cette pratique dans notre continent, et la création de ce réseau renforce les liens d’appartenance à un continent riche en compétences et fier de ses enfants.
3. Comment êtes-vous arrivé à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique ?
Je réalise un rêve d’enfance. J’honore une promesse faite à mon père. J’ai promis à mon père, quelques jours avant son décès, d’être à la hauteur de son dévouement, son attachement et de ses sacrifices. Mon parcours professionnel n’est que l’expression d’une infinie reconnaissance à l’égard de mes parents.
Ce parcours professionnel a débuté en 2005, à l’université d’Oran, en tant qu’enseignant vacataire. Je me rappelle de deux matières que j’ai enseignées dans un premier temps: la sociolinguistique et la psycholinguistique. J’avais à l’époque 23 ans. Les cours étaient destinés aux étudiants inscrits en troisième année licence (langue française).
Quelques années plus tard, j’ai intégré le département des Sciences de l’Information et de la Communication de l’Université de Mostaganem, en tant qu’enseignant-chercheur titulaire, en 2009. Grâce à ce statut, et sur le plan pédagogique, j’ai présidé l’équipe de formation Master Communication et Presse Ecrite, responsable de l’offre de formation doctorale Communication, Langage et Analyse critique des médias, et désigné responsable de l’offre de formation Magistère Communication & Langage. Sur le plan administratif, j’ai occupé le poste de vice-doyen de la post-graduation, de la recherche scientifique et des relations extérieures à deux reprises, et depuis 2015, enseignant-chercheur à l’Université d’Oran2.
Les tâches de recherche et d’enseignement me fascinaient et me fascinent toujours. J’aime mon métier, j’aime ce que je fais, j’apprécie ce climat de confiance qui s’observe entre enseignant et apprenant. Cet amour éternel pour la recherche et cette volonté de donner m’ont rendu souvent passionné par cette dynamique qui m’anime de jour en jour. Je ne cessais d’écrire, de lire, de m’ouvrir sur d’autres aventures, de développer d’autres compétences. Je voulais être enseignant-universitaire, c’était un souhait, un rêve, je croyais en mes compétences. Maintenant, c’est l’avenir qui m’intéresse, j’étais et je le suis toujours optimiste, car l’espoir et l’optimisme nous font vivre les meilleurs moments de la vie.
4. Comment avez-vous «rencontré» l’AD?
En préparant ma thèse de doctorat, je voulais travailler sur un thème original et une méthodologie qui n’a pas encore été approchée à l’époque. J’ai trouvé, en AD un terrain qui me permettait d’appréhender un corpus politique. Ce sont les sciences du langage qui m’ont accueilli. J’ai appris, j’ai dû me former en analyse du discours tout seul, grâce également à mes directeurs de recherche en France et en Algérie.
5. Vous êtes Enseignant-chercheur, quel regard portez-vous sur la recherche en Afrique de façon générale et plus spécifiquement dans le domaine de l’Analyse du Discours ?
La recherche scientifique constitue un domaine sur lequel doit s’appuyer notre continent s’il veut affronter les défis actuels. L’Afrique souffre particulièrement de manque de ressources et de fuite des cerveaux pour différentes raisons. Tout doit être mis sur la table pour discuter des particularités qui caractérisent chaque pays. Le manque de visibilité à l’international, ainsi que l’absence d’une politique réelle qui vise l’excellence scientifique constituent des problèmes majeurs qui vont à l’encontre d’une recherche scientifique de qualité, auxquels vient s’ajouter l’absence d’une réflexion commune qui aspire au changement de l’ordre actuel. Il est temps de se demander pourquoi les différentes instances scientifiques de notre continent n’engagent pas une réflexion sur les actions à mettre en place pour encourager la recherche entre pays ? Il est aussi temps d’agir notamment en ce qui concerne la qualité des enseignements dans nos universités, les recherches menées et les fonds qui y sont consacrés.
Aussi, il faut encourager les publications scientifiques communes dans une discipline donnée, la mobilité des étudiants et des chercheurs, former des équipes internationales, et nouer des relations avec les grandes universités. Notre continent ne manque pas de talents. Comment expliquer le fait que nos jeunes-chercheurs réussissent mieux leurs parcours universitaires à l’étranger ? Pourquoi ces chercheurs ne retournent jamais à leurs pays d’origine pour s’y installer ?
Le grand défi est celui de capter et d’attirer les compétences et les chercheurs, capables de participer à l’édification de notre continent. Certes, une tâche difficile du fait de l’hétérogénéité des systèmes éducatifs, les modèles économiques ou encore les défis sociaux, mais pas impossible. Le classement des universités est toujours une question qui mérite débat. Il n’est pas toujours innocent.
L’expérience menée avec le Réseau Africain d’Analyse du discours R2AD et la publication d’un numéro thématique dédié à l’analyse du discours francophone en Afrique témoigne d’une expérience réussie d’un partenariat que nous voulons durable et riche. Elle illustre la volonté d’une action commune qui mobilise les efforts africains autour d’une pratique en pleine expansion.
6. L’Analyse du Discours en Algérie ? Quelles pratiques, quelles réalités ?
L’analyse du discours en contexte algérien est sans doute une pratique qui s’inspire des différentes écoles et théories linguistiques européennes ; un modèle qui ne cesse de développer et d’évoluer, grâce notamment aux jeunes chercheurs qui s’y intéressent de jour en jour, qui s’adapte rapidement et qui se renouvelle sans cesse. Il s’agit d’une discipline génératrice de ressources méthodologiques, et apte à se positionner et à se démarquer dans le domaine de la linguistique de l’énonciation.
La pratique de l’analyse du discours en Algérie connait depuis quelques années un engouement et un intérêt particulier auprès des chercheurs qui s’intéressent à la notion du discours. À cet intérêt scientifiquement légitime se greffent les questions qui gravitent autour des modalités et méthodes d’analyses, aussi diversifiées soient-elles, qui permettent d’appréhender des corpus d’analyse en ayant recours aux théories linguistiques faisant du discours un grand chantier dont les perspectives restent toujours ouvertes et sans limites.
La diversité des corpus analysés a permis de constater le recours à différents outils méthodologiques et statistiques en vue d’appréhender les spécificités de chaque typologie et de faire sortir ce qui leurs sont caractéristiques. Cette pratique scientifique constitue un axe majeur de ce que nous appelons aujourd’hui les nouvelles linguistiques.
Il est à remarquer également que les études menées ne se contentent pas uniquement des descriptions discursives. D’autres analyses viennent les accompagner et qui sont d’ordres sémiotiques et sociolinguistiques.
Je profite de cette opportunité pour souligner l’importance du travail déjà effectué avec le R2AD et un projet de recherche algérien PRFU ; une collaboration couronnée par la publication d’un numéro thématique de la Revue ALTRALANG consacré à la pratique de l’analyse du discours en Afrique francophone.
7. Revenons sur votre parcours, quel est votre regard à ce jour, sur tout ce chemin parcouru ?
Beaucoup reste à faire. Je garde l’espoir que le meilleur est à venir. Je suis un éternel apprenant.
8. A votre avis, quel est la place et le rôle du chercheur africain aujourd’hui dans le monde ?
Si nous cherchons à définir ce que peut être un chercheur, je dirai que c’est un porteur d’espoir, il veille et cherche à offrir à la société un savoir-faire et une production scientifique. Nombreux sont les chercheurs africains qui sillonnent le monde et qui font avancer la science.
Le chercheur africain souffre des conditions de l’exercice de son métier. Il s’exile malheureusement et trouve en Europe et en Amérique les moyens nécessaires qui lui permettent de parfaire ses connaissances et de développer ses compétences.
L’absence de visibilité politique, la détérioration du pouvoir d’achat et les conditions de travail ont eu pour conséquence une forte émigration vers les pays européens ou vers d’autres métiers. Il est difficile de convaincre un chercheur de travailler en Afrique. De nombreux facteurs politique, socio-économique peuvent être évoqués qui l’empêchent de développer ses recherches. Les politiques africains doivent apporter un message d’espoir, encourager les intellectuels qui sont une valeur manifeste pour développer le continent. Si nous voulons vraiment profiter de leur savoir-faire, il faut développer les capacités scientifiques et techniques qui garantissent un climat de travail serein et des conditions de travail dignes. Certains scientifiques algériens, à titre d’exemple, participent activement dans l’édification de leur pays. Récemment, sur ordre de la présidence algérienne, un conseil qui regroupe les éminents scientifiques algériens vient d’être créé. L’objectif est de mener des actions concrètes pour la promotion de la recherche scientifique. Les efforts commencent à donner leurs fruits. Les budgets alloués à la recherche ne cessent de se multiplier et les thématiques de recherche ne cessent également de se diversifier.
Il est important de rappeler que les fonds financiers sont le nerf de la recherche. Dans la plupart des pays du continent, nous constatons une baisse significative des budgets publics ou privés consacrés à la recherche, un fait qui entraine malheureusement une dégradation de la qualité des recherches et les actions d’enseignement. Il est par conséquent urgent de renforcer les capacités d’accueil de ces scientifiques en investissant massivement dans les conditions de travail. Les projets de coopération pourraient constituer également un appui de taille. L’objectif est de profiter de ce savoir-faire pour former la nouvelle génération africaine apte à relever les défis actuels, et de participer activement à l’émergence d’une science africaine.
9. Que nous diriez-vous, si vous deviez résumer les résultats de vos travaux et leur utilité, leur impact sur la société africaine ?
Il est difficile de parler de soi. Je me contente de dire que mon pays m’a ouvert toutes les portes et m’a offert toutes les chances pour atteindre mes objectifs. J’ai appris à donner, à dispenser des cours qui répondent aux attentes de mes étudiants et à mener des actions de recherche. J’aime ce que je fais. Je préfère laisser le soin à mes pairs et étudiants d’évaluer ce que je fais.
10. Quelles sont vos lectures du moment ? Avez-vous un coup de cœur à partager avec nous ?
Je suis porté sur la politique et je m’intéresse particulièrement à tout ce qui se passe dans mon pays. Les réformes politiques et économiques engagées ces dernières années me poussent à lire et apprécier des lectures de savants algériens. Je lis, en ce moment, avec grand intérêt un livre de Malek Bennabi, intitulé ‘’ Problème des idées dans le monde musulman’’. Un livre très intéressant qui résume le vécu du monde arabe et musulman.