Pr BOHUI HILAIRE
1- Bonjour Professeur, présentez-vous s’il vous plaît. Votre biographie en quelques lignes ?
Bonjour. Je suis Hilaire BOHUI, africain d’origine ivoirienne, enseignant chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny (UFR Langues, Littératures et Civilisations / Département de Lettre Modernes)
2- Dans le cadre de sa tribune d’actions promotionnelles des valeurs et compétences du R2AD, vous avez été désigné « chercheur du mois », quel est votre sentiment ?
Je me sens plutôt flatté
3- Comment êtes-vous arrivé à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique ?
Question simple sans doute, mais qui en soulève une autre, liée celle-là, à la réception. J’y vois en effet un aspect procédural et un autre, disons, psycho-affectif. Au niveau procédural ou institutionnel, j’ai intégré l’enseignement supérieur suite à mon recrutement en qualité d’assistant par l’Etat ivoirien. De là, il suit en toute logique que je suis du domaine de la recherche scientifique. Pour ce qui est de l’aspect psycho-affectif, je dois dire que la vocation le dispute à une forme de déterminisme dont la logique prévaut encore aujourd’hui, avec les jeunes docteurs, en particulier en sciences littéraires et linguistiques. En effet, pour ceux-là, l’employabilité est quasiment « encadrée », et c’est un euphémisme, car leur domaine professionnel de prédilection reste, hélas, à ce jour, l’enseignement supérieur.
4- Comment avez-vous « rencontré » le R2AD ?
Dans la virtualité déjà, c’est-à-dire au stade où il ne s’agissait que d’une idée, devenue ensuite une initiative, puis un projet porté par Professeure Aimée Danielle Lezou Koffi, et partagé dans un cercle restreint d’enseignants chercheurs, qui sont les membres fondateurs du R2AD. Je ne saurais jamais assez la remercier pour cette heureuse inspiration.
5- Quel regard portez-vous sur la recherche en Afrique de façon générale et plus spécifiquement sur le domaine de l’Analyse du Discours ?
Un regard panoramique sur la recherche inclusive en Afrique serait fort prétentieux, tant les domaines, les champs disciplinaires et les pratiques sont multiples. Et, comme vous le savez, on ne s’intéresse prioritairement, en toute logique, qu’à la vie de son propre champ disciplinaire, et encore ! Mais, par-dessus tout, comment porter un regard, même « introverti », si je puis dire, en faisant abstraction des conditions politiques, environnementales, institutionnelles dans lesquelles s’exerce l’activité « Recherche » sans corrompre, en quelque manière, le jugement ? Ne disposant pas de toutes ces données au moment du présent entretien, il me semble plus raisonnable et responsable de me contenter d’observer, d’après mon expérience, donc de manière tout à fait subjective sans doute, qu’en Afrique, la recherche jouit d’une fortune disparate selon le paradigme politique des gouvernants, leurs visions et contraintes qui déterminent leurs choix. Sur cette base, je ne crois pas caricaturer en notant que, selon moi, le potentiel de rendement et de productivité sociale de la recherche en Afrique est en sous-exploitation. Pour autant, il ne s’agit guère d’un déni du bouillonnement intellectuel et des compétences des chercheurs africains qui ont du mérite de parvenir à des résultats probants, connus et reconnus quand ils sont rendus publics. De ce point de vue-là, je n’ai pas la fierté modeste devant le génie des chercheurs africains.
La recherche en Analyse du discours ? Elle existe depuis au moins trois décennies, à travers des publications, travaux et études, même si les cadres formels qui prennent en charge et organisent la « matière » sont postérieurs et même récents. Tel est le cas, par exemple, du Réseau Africain d’Analyse de Discours (R2AD) qui n’a qu’un an d’existence. Mais quel dynamisme des acteurs affiliés, et bien sûr, de l’Exécutif !
6- L’Analyse du Discours dans votre pays ? Quelles pratiques, quelles réalités ?
Grande question que celle-là ! Ici encore, je me méfierai des grandes envolées dithyrambiques et des jugements surfaits, ne disposant au mieux que des données du seul département de Lettres Modernes de l’Université Félix Houphouët-Boigny, ce qui, je l’avoue, peut paraître complètement anecdotique, compte tenu de la diversité des pratiques et des spécialités qui prennent le « discours » comme objet d’analyse au niveau des sciences sociales et humaines, en communication, etc. Par ailleurs, quelles variables retenir ? Une chose est cependant absolument certaine : l’analyse de discours est une réalité dans les universités publiques en Côte d’Ivoire, à la fois comme objet pédagogique et matière de recherche et à publications scientifiques, et paradigme de formation optionnelle au grade de Docteur. Il va de soi, chaque champ disciplinaire qui prend le « discours » comme objet d’analyse l’inscrit dans son propre paradigme et son épistémologie, et les fins qu’il s’assigne en termes d’objectifs, et d’après son propre protocole interprétatif et d’assignation de sens. Sous ce rapport, et pour me résumer, l’analyse de discours est une réalité en Côte d’Ivoire, qui se démultiplie et se transmue en diverses réalités selon les pratiques existantes.
7- Revenons sur votre parcours, quel est votre regard à ce jour, sur tout ce chemin parcouru ?
Adepte accommodant et modéré d’un Toussaint Louverture à réinventer selon moi, surtout dans le contexte qui est le nôtre en Afrique où la certification de et par l’Extérieur établit le mérite, j’ai la faiblesse de croire que le repos mérité du vaillant guerrier est un luxe que nous ne pouvons pas nous offrir, et que, bien au contraire, nous sommes condamnés à l’effort qui élève et impose respect et considération. Bien sûr, mon parcours personnel n’embarrasse pas du tout mon estime de soi. Au contraire ! Ma plus grande satisfaction à ce jour, c’est d’avoir modestement contribué à enrichir l’offre de formation du département de Lettres Modernes par l’instauration de l’Enonciation et l’Analyse de discours au titre des enseignements, et d’y avoir formé une trentaine de docteurs en quinze année d’encadrement de thèses de doctorat. Je m’arrêterai à cette seule évocation, car comme dit le chanteur Zouglou, « Piment ne dit pas je brûle ; mange seulement ». Cela dit, aussi flatteur voire gratifiant que puisse paraître mon parcours personnel, que vaut-il vraiment par rapport à ce qui nous donne rendez-vous, à nous tous, pour demain, par rapport à l’effort collectif sur le chemin commun à marcher ensemble, dans la mutualisation de nos compétences, pour une plus grande visibilisation de nos expertises par nos résultats? Poursuivre l’œuvre du monument Cheick Anta Diop, sans prétention, mais au moins dans les principes et la motivation, tel doit être notre devoir à tous. Il n’y a pas de recherche « neutre » !
8- A votre avis, quel est la place et le rôle du chercheur africain aujourd’hui dans le monde ?
Le chercheur africain est avant tout un sujet social, comme tous ses pairs à travers le monde. Seuls les conditions de travail et l’environnement font la différence. De ce point de vue-là, ce qui est attendu du chercheur africain, c’est un effort de renforcement du niveau de pertinence sociale de sa recherche et ses résultats. Nous devons aller toujours plus loin dans la traçabilité pragmatique de nos recherches, en étant bien conscients que cette socialité doit toujours être rapportée à la spécificité de chaque domaine. Quoi qu’il en soit, il paraît peu discutable que la finalité pratique, utilitaire, l’impact social des résultats soient la vocation de toute recherche, quelles que soient les approches, les domaines et les objets. Mais, vous le savez comme moi, en la matière, nous ne sommes pas les seuls acteurs. Le politique y joue un rôle central et déterminant.
9- Que nous diriez-vous, si vous deviez résumer les résultats de vos travaux et leur utilité, leur impact sur la société africaine ?
Je dirais, m’autoévaluant indirectement : « Encore du chemin. Peut faire bien mieux encore »
10- Quelles sont vos lectures du moment ? Avez-vous un coup de cœur à partager avec nous ?
Là, je crains de vous décevoir, mais je dois dire, par exigence de vérité, qu’en ce moment, je ne fais pas une lecture de spécialité, mais, comment dire, de culture générale. Il s’agit de l’ouvrage de Toni Morrison intitulé en français « La source de l’amour-propre ». Désolé.
Merci Professeur